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L’archéologie : Pour qui? Pourquoi?

Ce bref récit en deux parties s’adresse en particulier aux jeunes lecteurs francophones qui hésitent peut-être dans le choix d’une carrière. J’ai pensé qu’il pourrait aussi intéresser d’autres personnes qui se demandent pourquoi on devient archéologue. Je vais donc tenter de répondre à ces deux questions en utilisant mon propre parcours, qui est plutôt atypique, pour illustrer comment les choses peuvent se passer. 

PREMIÈRE PARTIE

À l’automne de 1970, eh oui, il y a déjà un demi-siècle, le gouvernement Trudeau déploie 6000 soldats pour étouffer un mouvement révolutionnaire qui agite le Québec. À Montréal la police perquisitionne et des étudiants, des artistes et combien d’autres personnes sympathiques à l’indépendance du Québec sont emprisonnées. À cette époque, je viens à peine de commencer mes études collégiales en sciences humaines et prépare un examen d’entrée en musique. Or pour ajouter à l’injure, il y a lockout au cégep de Saint-Laurent où j’étudie, en raison d’un différend entre l’administration et les professeurs. L’examen est reporté et pour moi, c’est la goutte qui fait déborder le vase. Ne pouvant plus attendre, avec quelques amis qui comme moi aspirent à un changement et à la liberté, je pars pour la Colombie-Britannique sur le pouce et pratiquement sans un sou, avec comme tout bagage quelques vêtements et un sac de granolas faits maison.

C’est le début d’une aventure qui ne devait durer que quelques semaines, mais que je poursuis encore aujourd’hui. Tout a commencé par l’émotion initiale à la vue des montagnes Rocheuses, puis les amitiés qui se sont développées lorsque j’habitais à Gilpin, une petite communauté fondée par les Doukhobors au début du XXᵉ siècle. À vrai dire, il ne restait que quelques

cabanes à cet endroit situé près de Grand Forks et donnant sur la frontière canado-américaine. J’ai vécu dans cette région semi-désertique, située à une centaine de kilomètres à l’est de la vallée de l’Okanagan pendant près de deux ans, et avec quelques amis qui partageaient le même mode de vie, nous avons imaginé un projet de voyage à cheval jusqu’au Mexique. Il fallait donc trouver un travail pour acheter les chevaux et c’est ainsi que je suis parti pour me rendre en Alaska où il y avait une

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En 1972, chez des amis avec lesquels j'ai passé l'hiver un peu au nord de Grand-Forks en Colombie-Britannique.

grande demande de main-d’œuvre. Je me suis cependant arrêté à Prince Rupert, la capitale mondiale du flétan où après quelques démarches, j’ai trouvé un emploi en archéologie.

 

En effet, des fouilles de sauvetage devaient être complétées rapidement avant la construction d’un super-port, car à l’emplacement choisi, derrière la plage actuelle se trouvaient d’immenses amas coquilliers qui renfermaient des vestiges d’occupation humaine remontant à quelques milliers d’années. Les spécimens en os, en bois et même des paniers en osier tressé parfaitement conservé, et surtout, des sépultures incluant un crâne portant des traces de trépanation témoignant d’interventions chirurgicales très anciennes frappèrent mon imagination de jeune homme. Après ces fouilles qui durèrent trois mois, souvent sous la pluie, je rentrai à Gilpin où j’allais enfin pouvoir acquérir ma monture et partir. Cependant, mes camarades n’avaient pas eu autant de chance et le projet ne vit jamais le jour. Pour compenser ma déception, j’achetai une guitare Framus au dos bombé

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Moi à 22 ans, en train de prendre des notes devant un carré que je viens de fouiller méticuleusement; c'était en 1974, dans le parc national Forillon en Gaspésie.

comme celui d’un violon et passai encore quelque temps à Gilpin avant de rentrer au Québec. Sur le chemin du retour, je m’arrêtai au Musée de l’Homme à Ottawa (maintenant Musée canadien de l’histoire à Gatineau) où je devais rencontrer l’archéologue Roger Marois. Celui-ci me recommandait de faire des études en vue de compléter un doctorat, objectif immense pour un jeune homme décrocheur qui n’avait même pas encore fait ses études collégiales! 

Je ne suis cependant pas rentré au bercail immédiatement puisque je suis allé rejoindre une copine à Gaspé où j’ai vécu pendant plus de six mois dans une roulotte puis dans une vieille maison à Wakeham, petit hameau situé à proximité. Cet été-là, je me suis joint à une équipe d’archéologues dirigée par Jean-François Blanchette qui préparait un doctorat à l’Université Brown sous la direction du

grand archéologue américain James Deetz que je n’allais connaître que quelques années plus tard, lors de mes études de premier cycle universitaire.

 

Les travaux portaient cette fois sur des sites d’intérêt historique datant du régime français puis britannique. Occasionnellement, les sondages révélaient également une occupation beaucoup plus ancienne par les lointains ancêtres des Mi’gmaqs, le principal peuple autochtone de la Gaspésie.

 

Dans cette première partie, nous avons pu constater à quel point les circonstances, le hasard et l’expérience peuvent déterminer notre parcours individuel et susciter des réflexions menant à des choix décisifs.

(suite au prochain numéro)

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Yves Labrèche est professeur associé et coordonnateur de la Chaire de recherche sur les migrations, les circulations et les communautés francophones à l’Université de Saint-Boniface.

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