Ces paroles inspirées de lectures, de rencontres, de réflexions et de sa propension à jeter un regard critique sur la société qui l'entoure, Guy les offre aux créateurs de musique à la recherche de textes significatifs.
« La chanson… c’est un vivant petit oiseau sensible et intelligent dont l’univers est la cour, il connaît et ressent tout mais en petit, c’est très parent avec le conte et la fable. » – Félix Leclerc
Je le dis, donc je suis
Les médias sociaux permettent plus que jamais à tout un chacun d’exprimer son opinion, ce qui, en principe, devrait favoriser la conversation démocratique. Mais qu’en est-il vraiment? En fait, la question délicate qu’il faut se poser est celle-ci : est-ce que toutes les opinions ont la même valeur, le même poids dans la discussion démocratique? Dans la tradition philosophique — à laquelle notre époque semble vouloir renoncer — on estimait que l’opinion avait peu de valeur si elle consistait en un jugement personnel non fondé sur un raisonnement juste, c’est-à-dire un raisonnement que l’on peut appuyer sur des faits ou sur une argumentation valable. La conversation démocratique sera en effet beaucoup plus riche si les interlocuteurs fondent leur discours sur des prémisses qui peuvent être tenues pour vraies et s’ils respectent un tant soit peu les principes d’une démonstration logique. Plus encore le sera-t-elle si chacun s’efforce de rendre le tout lisible et intelligible. Or, de nos jours, sur les réseaux sociaux notamment, on a plutôt l’impression d’assister à une explosion d’opinions qui ont souvent peu à voir avec ce qu’exige une réelle délibération.
Dans son livre Les Barbares, Alessandro Baricco* dit ceci à propos de notre époque : « […] ainsi s’est imposée l’idée que l’intensité du monde ne vient pas du sous-sol des choses, mais de la lumière d’une séquence dessinée à la hâte sur la surface de l’existant ». Il m’apparaît en effet, dans l’esprit de cet énoncé, que « dire pour dire », « participer à l’évènement », « se mettre en scène », « être spectaculaire » devient plus important que l’amour de la vérité et le désir de faire réellement avancer les débats. Il faut l’admettre, dans cette tyrannie de l’instantanéité et du super-égo, les mots « effort », « réflexion », « fait », « vérité » renvoient de plus en plus à des réalités obsolètes. L’image avant tout! L’émotion d’abord!
Voici un texte qui traite de ce sujet avec un brin d’ironie**. Le texte aborde aussi ce rapport particulier que nous avons à nos écrans (« le monde est virtuel », nous dit la chanson de Serge Fiori). Vous remarquez sans doute dans le titre (Je le dis donc je suis) ce petit clin d’œil au philosophe français René Descartes (je pense donc je suis).
Je le dis donc je suis
Je suis un adepte
De technologie
De nouveaux concepts
Et de raccourcis
Je google le monde
Je « post » ma vie
Mon écran me comble
Je me donne à lui
Ah! que j’en ai de la chance
Ah! que je t’aime bel écran
Enfin, enfin une existence
Je n’en aurais pas autrement
Je suis intrépide
J’ai les doigts agiles
C’est moi le plus rapide
Sur l’écran tactile
Le temps, pour tout dire :
L’ennemi à abattre!
Pas trop réfléchir
Réponse immédiate!
Fa’que, fa’que
Je dis n’importe quoi
Avec pour langage
Des sons qui renvoient
Au stade babillage…
Ce qui compte à la fin
Ce n’est pas ce que je dis
Le dire me fait du bien
Je le dis donc je suis!
Ah! que j’en ai de la chance
Ah! que je t’aime bel écran
Enfin, enfin une existence
Je n’en aurais pas autrement
*Baricco, Alessandro, Les barbares, essai sur la mutation, Gallimard, 2014 (pour la traduction française), p. 165.
** Pour un traitement plus rigoureux de ce thème, je vous invite à lire la chronique de Normand Baillargeon intitulé « Malaise dans la conversation démocratique », dans le magasine Voir (octobre 2016). L’auteur y traite notamment de ce que l’on appelle « l’ère postfactuelle ». Nos voisins du sud viennent de nous démontrer que nous y sommes vraiment!