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Ces paroles inspirées de lectures, de rencontres, de réflexions et de sa propension à jeter un regard critique sur la société qui l'entoure, Guy les offre aux créateurs de musique à la recherche de textes significatifs.

« La chanson… c’est un vivant petit oiseau sensible et intelligent dont l’univers est la cour, il connaît et ressent tout mais en petit, c’est très parent avec le conte et la fable. » – Félix Leclerc

L’évolution

Avez-vous entendu parler du rapport Demers*, ce document publié par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de la Science à la suite du chantier sur l’offre de formation collégiale? Si vous vous intéressez à l’éducation et à la culture, il faut le lire, mais lire aussi cet autre document, un merveilleux petit bouquin né de l’inquiétude suscitée par la publication de ce rapport. Ce bouquin s’intitule : La liquidation programmée de la culture – Quel cégep pour nos enfants? **. Pour situer son propos, voici un extrait de sa préface :

« Les textes réunis dans cet ouvrage visent ainsi à penser et à défendre la culture. La culture? On en parle tellement que, finalement, on ne sait plus trop ce que c’est ni à quoi ça sert. Entre la culture privilège d’une élite et la culture comme divertissement omniprésent, quelque chose d’essentiel s’est perdu, qui a trait à la créativité et à l’agir proprement humain, et donc à sa liberté. »

Pourquoi un tel plaidoyer en faveur de la culture? Parce que les auteurs (qui sont au nombre de douze) voient dans le rapport Demers une nouvelle offensive pour éliminer progressivement la formation « libre » (comme la littérature et la philosophie), c’est-à-dire celle qui échappe aux exigences du marché. De fait, il ne s’agit plus, de nos jours, de s’adresser à des humains, et de les former dans une perspective d’émancipation, mais plutôt de les ajuster rapidement au rouage de la division du travail pour en faire des futurs salariés qui feront rouler l’économie. Voilà l’un des fondements du rapport Demers.


Autre élément fondateur de ce rapport : le soi-disant respect de l’intérêt et du libre choix de la clientèle (car ce sont maintenant des clients, et non plus des étudiants), « nouveau point de départ pour penser l’école », écrit Éric Martin, l’un des auteurs de ce livre. Or, ajoute-t-il :

« On pensait jadis que rencontrer le sens exigeait de sortir du solipsisme de son moi pour hériter d’une culture qui nous est antérieure. Un formidable renversement s’opère maintenant, qui réduit tout à un fatras de vieilleries conservatrices, et qui prétend que le choix spontané d’un étudiant de première année de cégep doit servir de fondation à l’édifice éducatif plutôt que quelque tradition littéraire ou que l’histoire de la pensée… Fine alliance du narcissisme du moi prétendument autofondé, du clientélisme, du présentéisme et de l’immédiateté, au mépris du passé et donc de tout futur véritable […]. »

À ce propos, Annie Thériault, signataire de l’un des textes de ce livre, nous rappelle ces sages paroles du philosophe de l’Antiquité Diogène de Sinope : « Jeune homme, si tu ne peux pas supporter le labeur de l’apprentissage, tu auras à supporter les épreuves de l’ignorance ». Sachant, en effet, que le néolibéralisme globalisé cherche la croissance et l’accumulation du capital sans investir dans l’emploi, que deviendront ces jeunes que l’on forme déjà « par projet » à la petite école et que l’on veut retenir ensuite dans l’horizon limité de la pensée opérationnelle-concrète? Des précaires, probablement, le paradis de l’emploi étant plus qu’incertain, mais aussi des individus sans recul face à un monde qui leur échappe; des individus, par conséquent, beaucoup plus vulnérables aux discours démagogiques de ces nouveaux superhéros qui leur laissent croire qu’ils porteront leur voix… 


Une chose est claire : malgré mon enthousiasme, je ne pourrai pas vous traduire ici toute la richesse des réflexions contenues dans ce petit bouquin. Je vous encourage à le lire, et attendez-vous à ce qu’il vous conduise beaucoup plus loin que ne l’annonce son sous-titre. De fait, au-delà du problème qu’il soulève concernant la formation au cégep, ce livre est un véritable petit coffre à arguments pour ceux et celles qui croient encore en la nécessité de garder en vie la capacité de l’être humain d’interroger le sens du monde dans lequel il vit. Nous sommes plus que de la main-d’œuvre, plus que d’heureux consommateurs : notre valeur en tant qu’être humain tient à autre chose, et nous avons le devoir de le rappeler haut et fort aux « sans mémoire » qui tiennent actuellement les commandes de notre société et qui destinent nos jeunes à « supporter les épreuves de l’ignorance ».


Les bases du texte qui suit ont été jetées il y a quatre ou cinq ans, mais, inspiré par le propos du livre dont je viens de vous parler, j’ai décidé d’y replonger et de lui apporter plusieurs améliorations afin de mieux toucher la cible. Mon but, dans ce texte, n’est évidemment pas d’adresser des reproches aux jeunes qui fréquentent nos écoles et nos collèges : je sais trop bien que la responsabilité de « penser l’école » n’est pas d’abord la leur… 

 

L'évolution

Autrefois, un humain
C’était bien compliqué : 
Des sensations, des émotions
Des sentiments puis des pensées 
Y’avait rien de trop beau!
Des impressions, des intuitions
Des conceptions, des réflexions…
En voulez-vous? En v’là!
En plus de ça, imaginez!
Ça tenait à « s’exprimer »
Alors des mots, y’en avait trop
Vous n’en avez pas idée! 
Il paraît que ça sonnait, 
Ça résonnait, ça retentissait
Jusque dans l’âme!

Mais toi, mon enfant
Toi l’unique, toi l’apprenant
Grâce à ton gouvernement
Tu devras suivre l’évolution…

Des mots : presque plus
Des phrases : non plus
Réfléchir : inutile! 
S’exprimer : c’est futile! 
Des caractères, ça fait l’affaire
On se comprend, c’est suffisant
C’est assez le niaisage
On descend d’un étage

Viens à l’école inc.
Observe les consignes
Ici, que du concret! 
Tu auras du succès 
Adapté, formaté
Employé, salarié 
Sous la main du marché
Des images plein la vue
Des mirages plein la vie
Fermeture de l’esprit
On liquide à bas prix…

Adieu propos obscurs
Vieilleries dites « culture »
Embarque dans l’aventure
On se livre au futur
On décide à mesure
On se perd en conjectures
On se dirige… oups! dans un mur!

Rien de grave, rien d’alarmant
Nos appareils sont intelligents!

 

*Guy Demers, Rapport final du chantier sur l’offre de formation collégiale, ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de la Science, Québec, juin 2014.


**Collectif sous la direction de Sébastien Mussi, La liquidation programmée de la culture – Quel cégep pour nos enfants?, Liber, 2016.

© L’utilisation des textes se fait avec la permission de l’auteur.
Veuillez écrire à Guy Pilote à pilote.guy@gmail.com.
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