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Raymond Lemoine nous offre un regard à la fois naïf et franc d’enfant, et celui sensible etteinté de mélancolie d’un homme d’âge mûr sur son enfance à Sainte-Agathe, au Manitoba.

Feu chez Ti’mon

– Le 30 janvier –

Ce 30 janvier refusa de nous accorder le moindre répit de son froid bleu. L’hiver manitobain était reconnu pour sa dureté sauvage et celui-ci n’en faisait guère exception. Cependant, ce fret épouvantable ne pouvait point empêcher mes parents d’entreprendre leur circuit en ville du troc des œufs, sans enfants.

La matinée de ce samedi mémorable demeura plus ou moins sans incidents majeurs. Nous étions malcommodes comme d’habitude envers la gardienne Doris, mais rien hors de l’ordinaire. Le début de la grande partie de hockey à la télévision était prévu pour 14 heures et c’était évident que Doris anticipait cet évènement comme une maman anticipe la naissance de son premier enfant. Doris nous avait fait savoir en termes simples et clairs qu’à partir de 14 heures, elle revendiquait la télévision ainsi que le salon tout entier où se trouvait la télévision.

Mes deux frères avaient décidé de passer l’après-midi au sous-sol, faisant les choses que les grands frères font lorsqu’ils n’ont rien à faire. Moi, j’étais condamné à passer mon après-midi avec ma petite sœur. Pas que je ne l’aimais pas ma sœur, mais j’étais rendu à une étape de ma vie où les frères se questionnent beaucoup sur l’existence futile de leur petite sœur. De toute façon, étant donné que nous étions bannis du salon et que le sous-sol était également devenu zone interdite, nous avions décidé d’occuper l’endroit de la maison qui était habituellement et strictement un « no man’s land », la chambre à coucher de mes parents.

Ma petite sœur voulait jouer « à l’école », mais vu que c’était un samedi, mon choix logique était de jouer « à la maison ». Parce que j’étais plus grand et qu’elle était une simple petite sœur, mon choix logique l’emporta sur le sien. Jouer « à la maison » signifiait avoir un papa, une maman et des enfants. Naturellement, j’étais l’homme de la maison et ma sœur devenait la maman des enfants, et nécessairement, mon épouse. En somme, le jeu consistait à prendre le rôle de bons parents compétents et d’infliger aux poupées les mêmes corvées, contraintes et bagatelles parentales que constituait le mandat d’un bon papa et d’une bonne maman. Nous étions de très bons parents. Les pauvres poupées n’arrivaient jamais à répondre à nos attentes et par conséquent, elles devaient subir les chialages et les chamailleries de tous bons parents. Sans vouloir me vanter, notre maîtrise du chialage parental nous plaçait à la hauteur des imitations de bons parents, au point où nous aurions sûrement mérité des félicitations du renommé gourou du savoir parental, le célèbre Doctor Spock, dont ma mère lisait religieusement les écrits.

Le côté nourrisseur de notre rôle comme parents exemplaires était également bien joué. Dans le cadre de nos jeux de famille « faire semblant » du passé, nos repas familiaux ne comprenaient rien de moins que les meilleurs aliments au monde, entre autres, de bons sandwichs au beurre de pinottes et de confiture maison faite par notre vraie mère. Cependant, aujourd’hui, le cloître auto-imposé de Doris nous donnait davantage carte blanche au frigo et j’avais l’intention d’en profiter pleinement. En un rien de temps, mon expédition de chasse au frigidaire me conduisit à une découverte des plus appétissantes, voire affriolantes! En ouvrant la porte du frigo, voilà un paquet de saucisses à hot-dog Maple Leaf! Une idée géniale surgit; pourquoi ne pas organiser, au plus creux de cet hiver mortel, dans la chambre de mes parents, sur le lit de mes parents, un feu de camp pour y faire rôtir des saucisses à hot-dog… un wiener roast hivernal, tout simplement. Quelle idée géniale!
 

(suite au prochain numéro)

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