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Raymond Lemoine nous offre un regard à la fois naïf et franc d’enfant, et celui sensible et
teinté de mélancolie d’un homme d’âge mûr sur son enfance à Sainte-Agathe, au Manitoba.

Feu chez Ti’mon

– Maison en feu! –

Une fois au haut de l’escalier, une mauvaise surprise m’attendait. Un véritable nuage de boucane noire remplissait tout l’étage supérieur de la maison. Je ne voyais rien devant moi. Paralysé de terreur, je ne pus parler, encore moins crier. La main encore sur le pilastre de l’escalier, je me suis mis à trembler et enfin, à tousser. Mon étouffement fut un bien pour un mal, car il me permit de me secouer du mutisme imposé et, en descendant l’escalier à reculons, j’ai réussi à crier « Feu! Feu! La maison est en feu! » 

Doris me rejoignit au premier palier de l’escalier et me tira par le dos de ma chemise jusqu’en bas. Entrelacées avec quelques oh mon Dieu, ses directives nous commandèrent de nous rendre au sous-sol où nous devions trouver nos manteaux et nos bottes et sortir de la maison le plus vite possible. Une fois dehors, nous devions trouver nos frères pour les avertir de ce qui se passait. Ma sœur se mit à hurler et je dus prendre en charge l’évacuation. Entre-temps, Doris alla chercher la vadrouille derrière la porte de la cuisine et se précipita vers l’escalier, vadrouille dans une main et dans l’autre un torchon qu’elle utilisait pour couvrir sa bouche et son nez. Elle m’impressionna, jamais je n’avais vu une femme aussi courageuse qu’à ce moment là. Je ne compris pas tout à fait ce qu’elle voulait faire avec sa vadrouille, mais je déduisis que ce n’était pas pour nettoyer. Nous perdîmes Doris de vue dans la boucane qui, depuis sa découverte, avait déjà commencé sa descente au bas de l’escalier.

Les deux mains serrées sur ses épaules tremblantes, j’ai dirigé ma petite sœur vers les escaliers du sous-sol. Stupéfiée par le drame qui se passait, je la laissai verser ses larmes, car son braillement était à ce moment là le moindre de mes soucis. Une fois au sous-sol, je l’aidai à emmancher son manteau d’hiver pour ensuite la diriger à aller chercher ses bottes. Quelques instants plus tard après avoir à mon tour enfilé ma grosse parka d’hiver, des cris de terreur de la benjamine me firent sursauter : 

- J’trouve pas mes bottes! J’trouve pas mes bottes! 
- Comment ça tu ne trouves pas tes bottes? Y doivent être à quekpart tes bottes! 
- Non, non, j’trouve pas mes bottes, je veux mes bottes!  

Après quelques instants de recherche infructueuse, je lui ai offert les vieilles bottes de ma mère en lui ordonnant de les mettre.
- Non, non, j’veux mes bottes! Elle hurla. 
- Ben voyons donc, qu’est-ce que ça peut bien faire, tes bottes ou les bottes de maman? Déniaise! 
- Non, j’veux mes bottes. J’ai promis à papa que j’alla jama aller dehors sans mes bottes. J’veux mes bottes.  

Doris réapparue dans l’escalier du sous-sol, en criant : 

-    Qu’est-ce que vous faites encore icite? Sortez toute d’suite! 


Pleurant à grands sanglots, ma sœur hurla : 

-    Mes bottes, mes bottes, j’trouve pas mes bottes! 

J’ai essayé de lui dire aussi, calmement, que l'on pouvait, pour cette fois seulement, mettre les bottes de papa et de maman et qu'on s’en irait dehors trouver nos frères… Mais non, il n’y avait rien à faire. Elle était évidemment abasourdie par le grand désarroi de ses saudites bottes égarées!

-     Alors, tu veux brûler ici dans la maison ou bien tu sors avec moi? 

Cette question ne semblait pas avoir allégé la situation. Au contraire, elle suscita davantage de hurlements plus forts tout en dévoilant plus précisément ce qui tracassait davantage la pauvre petite. À sa chanson de « je veux mes bottes », elle ajouta un autre couplet de « je n’veux pas aller en enfer ». 

J’ai vite compris ce qui se passait dans la petite tête de ma sœur. Nous ne pouvions pas sortir de la maison sans nos bottes d’hiver, car nos parents nous l’avaient bien dit. Quoi faire de ce dilemme provenant de la tête innocente de cette naïve petite? Elle devait choisir de sortir de la maison sans ses propres bottes et par conséquent, désobéir à nos parents, ou bien sombrer dans les flammes du brasier de notre maison brûlante. De toute façon, la conséquence des deux choix était la même : se faire ravager par les flammes de la maison en feu, ou bien brûler en enfer pour avoir désobéi à nos parents. 

La petite n’étant devenue rien de moins qu’un cas désespéré, j’en avais maintenant pitié. Tendrement, je lui ai enfoncé une tuque sur la tête et j’ai boutonné son manteau afin de bien l’emmitoufler pour le froid mordant qui nous attendait à l’extérieur. Elle se calma. Je la dirigeai doucement vers la grosse malle bleue de mon père et je lui dis de s’asseoir. Tout en lui enfilant les bottes d’hiver de ma mère et en la regardant dans le blanc de ses yeux rouges de larmes, je la rassure en lui chuchotant : Suis-moi, OK? Je te protégerai contre le feu, OK?

 

Elle continua ses pleurs et son ronchonnement tremblant, mais heureusement son sempiternel braillage de « je veux mes bottes » mêlé avec « je ne veux pas aller en enfer » s’est adouci de plusieurs crans, et enfin, moins énervant. J’ai compris que tout cet évènement dépassait la gamine et à cet instant, je l’ai serrée dans mes bras et je lui ai dit doucement : 

-    Ne pleure pas petite sœur, je te protégerai. 

 

Cette rare douceur empathique de ma part m’a surpris, mais pas pour longtemps. Ce bref moment de sollicitude envers ma petite sœur braillarde fut brisé par les cris de Doris en haut de l’escalier : 

-     Vite, vite, il faut sortir!  

 

Nous sommes sortis de la maison main dans la main, Doris nous poussant doucement dans le dos. 

(suite au prochain numéro)

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