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Raymond Lemoine nous offre un regard à la fois naïf et franc d’enfant, et celui sensible et
teinté de mélancolie d’un homme d’âge mûr sur son enfance à Sainte-Agathe, au Manitoba.

Feu chez Ti’mon

– Sauvés des flammes –

Nous sommes sortis juste à temps pour voir la file de voitures descendre le chemin en trombe pour ensuite se garer en rangées ordonnées devant la maison. On se serait cru au ciné-parc Pembina, l’écran géant étant notre maison qui crachait de la grosse boucane noire de ses fenêtres au deuxième étage. Il faut croire que tout le village avait répondu à l’appel sonné par Arlette, sœur de Doris, qui travaillait comme standardiste téléphonique au village. Quelle chance! Arlette avait branché tous les fils dans son panneau et, en appuyant le bouton all call, avait crié : 

« Feu chez Ti’mon, au secours, feu chez Ti’mon ».

 

Comme de véritables fourmis sortant de leur fourmilière lorsqu’on les dérange, les hommes ont vite sauté de leurs voitures. Chaudières à la main, ils se sont précipités pour organiser une file indienne du puits d’eau près de l’étable jusqu’à la maison, et jusqu’en haut de l’échelle à l’une des fenêtres de la chambre à coucher de mes parents d’où s’échappait de la boucane noire. De cette fumée effrayante nous pouvions apercevoir un brave homme qui était monté dans la chambre, et juché à l’épicentre du sinistre spectacle, recevait les chaudières d’eau et disparaissait de nouveau dans la boucane épaisse pour y revenir quelques secondes plus tard avec une chaudière vide pour en reprendre une autre.

 

J’étais fort impressionné par la scène qui se déroulait devant nos yeux. Tous les hommes du village s’affairaient sans relâche à trouver et à éteindre les flammes, tandis que leurs épouses se réfugiaient dans quelques voitures, avec les moteurs qui tournent au ralenti, afin de rester à l’abri du froid sauvage de la journée. Ma sœur et moi étions bien raides et plantés à côté du poteau d’Hydro dans la cour, assez loin pour ne pas être dans le chemin de ces vaillants sauveteurs, mais aussi assez près pour ressentir l’air paniquard qu’imposait le drame devant nous. Ma sœur continua toujours à brailler, son pleurnichement doté de gros sanglots intermittents de « Je n’veux pas aller en enfer!», tandis que moi, j’étais plutôt transpercé par le froid glacial ainsi que la pagaille spectaculaire qui se jouait dans la cour. C’était à la fois éclatant et effrayant.

Ma stupéfaction fut soudainement interrompue lorsque j’ai ressenti deux mains se poser sur mes épaules et une voix douce qui dit : 

- Venez avec nous les enfants. 

C’était Mᵐᵉ Girouard et sa fille Denise. Mᵐᵉ Girouard était une bonne amie de ma mère. Toujours sidérés par l’ampleur de l’évènement actuel, nous nous tournâmes vers ces deux dames qui nous enveloppèrent de leurs bras et nous déclouèrent de notre socle de neige à côté du poteau d’Hydro. Elles nous dirigèrent vers les files de voitures. 

- Ousse qu’on s’en va? Je demandai.  
- On va aller se réchauffer dans la voiture, répondit Denise. 

(suite au prochain numéro)

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