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Raymond Lemoine nous offre un regard à la fois naïf et franc d’enfant, et celui sensible et
teinté de mélancolie d’un homme d’âge mûr sur son enfance à Sainte-Agathe, au Manitoba.

Feu chez Ti’mon

– Les carottes sont cuites –

J’attendis statufié au haut de l’escalier durant quelques secondes interminables avant d’être absolument assuré que l’intervention surprise de Doris avait bel et bien été avortée. La reprise des commentaires de René Lecavalier me signalait la recrudescence de la partie de hockey. Nous pouvions retourner au boulot. Mais enfin, l’interruption-choc de Doris avait plutôt réprimé mon enthousiasme culinaire et la cuisson des hot-dogs avait perdu un peu de son attrait. Ça serait partie remise. Nous soufflâmes sur le feu et réussîmes à éteindre toutes les flammes. Quelques cendres de papier journal s’envolèrent dans les airs comme des papillons calcinés. Le feu une fois étouffé, nous déposâmes le bassin encore chaud ainsi que toutes autres preuves dans la garde-robe de ma mère. Avant de descendre, il fallait un petit coup de balai afin qu’aucune trace ne reste dans la chambre. J’ordonnai à ma sœur d’attendre quelques minutes avant de me rejoindre en bas à la cuisine, tout en l’avertissant une autre fois de ne rien dire de toute cette tentative de wiener roast.  

Les Canadiens gagnèrent la partie avec une courte prolongation. Heureusement, nous n’avions pas tardé à mettre fin à notre expérience culinaire d’en haut. Toute ravie du résultat du match, mais visiblement essoufflée par la fièvre du combat qu’elle venait de témoigner dans sa tanière du salon, Doris nous joignit à la cuisine.
          - Et puis, c’est quoi au juste que vous faisiez en haut t’à l’heure?

En jetant un coup d’œil menaçant vers ma sœur afin de lui rappeler mon avertissement, je vite répondis :
          - Rien, on jouait juste. Qu’est-ce qui a pour souper?
          - Souper! On vient juste de dîner! T’as déjà faim?
          - Moé j’ai faim, interrompu ma sœur, on n’ les a pas mangés les hot dogs. 
          - Hot-dogs? Quels hot-dogs?
Hélas, le secret des hot-dogs se dévoilera au monde entier. Je devais essayer de dérouter cette conversation.

          - Ouaille, on a eu des sandwichs pour dîner, épaisse. Va donc placer tes affaires dans ton tiroir.
          - Voyons donc, ne parle pas à ta p’tite sœur comme ça!
me supplia Doris, tout en continuant à essuyer le dessus du poêle avec un torchon.
          - J’avais pensé de vous faire réchauffer le restant de soupe qui a dans le frigidaire. 

 

Tout à coup, Doris semblait figée sur une tache qu’elle n’arrivait pas à essuyer du poêle. Elle frottait toujours au même endroit et finalement :  
          - Ben voyons donc que c’est ça? On dirait de la cire rouge. Pis regarde moé donc ça, y’en a d’autre à côté icitte.

Comme les Leafs venaient de le faire, ma sœur et moi étions aussi à la veille de perdre la partie. Notre charade était perdue d’avance, ou pour emprunter les paroles de ma tante Jeanne lorsqu’elle faisait face à une situation de cause perdue, les carottes étaient cuites. Doris suivrait les taches de cire rouge que nous avions laissée couler par terre. Ces traces la dirigeraient bien vers l’escalier, et même, au-delà, dans la chambre de mes parents, le lieu du crime. Bien que la preuve criminelle fût bien cachée, Doris exigerait sans doute des explications, et, après un avant-midi déjà trop mouvementé, je ne me trouvai guère à la hauteur de continuer à voiler notre escapade récente. Je décidai de tout simplement me retirer de toute l’affaire. Avant que Doris puisse revendiquer une explication des taches rouges, je m’excusai précipitamment en disant que j’avais des choses à faire dans ma chambre et je montai l’escalier tout en m’assurant de piler sur la cire suspecte. Mes carottes étaient bel et bien cuites.   
 

(suite au prochain numéro)

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